Septembre 2025
Situation politique et climat social dans les entreprises : une crise qui en cache une autre ?
L’orage politique gronde à nouveau sans que le climat social dans les entreprises ne donne des signes d’une rentrée agitée. Une nouvelle crise politique sans crise sociale ? Penser à 1958 plutôt qu’à 1968, ou à 1934 plutôt qu’à 1936 selon les références de nombreux commentateurs.
Un appel à « tout bloquer » qui évoque le mouvement Gilets jaunes ainsi que celui Nuit debout quelques années avant. Un appel qui ravive l’inquiétude plus lointaine qu’avait suscité la diffusion en 2007 d’un manifeste anonyme « l’insurrection qui vient ». Si les sabotages annoncés alors étaient restés des actes isolés, le black bloc avait fait irruption, s’infiltrant désormais dans les différentes manifestations d’ampleur.
Une nouvelle journée d’actions, sans doute suivi par d’autres, initiées par une intersyndicale qui avait déjà tenté de mettre « la France à l’arrêt » en 2023, au cœur du mouvement contre la réforme des retraites.
Serions-nous à la veille d’un « moment » où les différentes banques de la colère, pour reprendre le concept de P. Sloterdijk, utiliseraient le capital de ressentiment accumulé pour « renverser la table » ?
L’observation de l’évolution récente de grandes entreprises incite à prendre au sérieux non pas tant le risque hypothétique d’une grève générale que celui, par certains aspects plus préoccupant, d’un refus d’une partie des salariés de « jouer le jeu » comme l’évoquait récemment Mikael Foessel.
L’amertume de l’après COVID
Alors que le souvenir de la Covid s’estompe, les traces laissées par cette période et les ruptures qu’elle a provoquées ou accélérées sont très présentes dans les entreprises : perte de confiance des salariés dans les certitudes des experts, difficultés à se projeter au-delà d’un horizon de court terme, attachement au télétravail, montée des revendications salariales, tensions entre catégories professionnelles …
La progression préoccupante de l’absentéisme dans de nombreuses entreprises a conduit un peu hâtivement à considérer que l’urgence était de remettre chacun au travail en rétablissant contrôle et reporting. La réduction dans certaines entreprises du nombre de jours de télétravail participe de cet objectif. Pour beaucoup de salariés la perspective qui se dessine est celle d’un retour aux exigences du monde « d’avant » (performance, adaptabilité) conjugué aux incertitudes et aux inquiétudes du monde d’aujourd’hui. Un nouveau « contrat social » (recul du pouvoir d’achat des Cadres, crise du logement, sentiment de déclassement des classes moyennes) bien éloigné du compromis fordiste que décrivaient les économistes des 30 glorieuses.
Gouvernance verticale
Si le style de management s’est largement démocratisé au plus près du terrain, en haut de la pyramide, les pratiques autoritaires, les dérives relationnelles parfois, continuent d’exister encouragées par des actionnaires convaincus que « l’excellence opérationnelle » passe par l’omniprésence des dirigeants. Face à la complexité, aux aléas, la prise d’initiative et la coopération entre les équipes sont plus efficaces et renforcent la motivation. A l’inverse, le « leadership » perd toute capacité d’entrainement quand il est associé à des comportements toxiques. Les vrais « alliés » dans l’entreprise ne sont pas les plus dociles mais ceux qui à la fois très impliqués et critiques permettent la réussite des projets et le développement des innovations. Sans leur soutien, les dirigeants « règnent mais ne gouvernent pas ».
Patrimoine et rémunération
Les données macroéconomiques récentes soulignant la préservation du pouvoir d’achat des ménages et la progression du taux d’épargne, révèlent également que près de 50% des français limiteraient leur dépenses, sans parvenir pour autant à accroitre leur épargne. Alors que la concentration des patrimoines progresse, se dessine la perspective d’une tension accrue entre le « capital » et le « travail » que les mesures prises en faveur du partage de la valeur et l’entrée limitée de représentants des salariés dans les conseils d’administration ne suffiront pas à contenir.
Le reflux de l’inflation et le retour à des augmentations nominales de salaires d’une moindre ampleur risquent d’accentuer le ressentiment vis-à-vis de ceux qui « s’enrichissent » sans limite ou de ceux qui « profitent » de la protection sociale.
Démocratie sociale
Malgré le regain d’intérêt des salariés pour le rôle des syndicats historiques, le constat de leur impuissance à peser sur des projets de réformes publiques ou de leur influence limitée sur la vie des entreprises, conduit de nombreux salariés à « faire sans », au travers d’actions catégorielles (ex. SNCF) ou en faisant émerger un nouvel acteur syndical (ex. RATP). Des conflits éclatent désormais dans certaines entreprises après la conclusion des négociations annuelles avec les syndicats sur les rémunérations (NAO), une partie des salariés jugeant insuffisantes les avancées obtenues.
Effort de pédagogie et communication de crise ne suffiront pas à apaiser les tensions politiques dans un contexte de montée des radicalités. Dans les entreprises, l’écoute du terrain, la reconnaissance des efforts et la concertation sur des projets articulant enjeux économiques, sociaux et environnementaux peuvent encore préserver le climat social.