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Négociation salariale : comment limiter les risques de conflits ?

La météo sociale s’annonce orageuse d’ici la fin de l’année. La préparation et la conduite des prochaines négociations annuelles sur les salaires (NAO) placent directions et représentants des salariés dans un contexte de négociation inédit. Déficit de confiance mutuelle, perte d’influence des acteurs syndicaux sur le terrain et discours des actionnaires pèseront lourd sur l’évolution du climat social. Si la peur est mauvaise conseillère, revisiter la stratégie sociale peut s’avérer nécessaire pour préserver la cohésion du corps social.

Les appels à la grève à la fin du mois et la recrudescence des conflits sociaux tout au long de l’année, avec récemment des arrêts de travail chez STELLANTIS et CARREFOUR, laissent craindre un risque d’amplification de la contestation. Certains redoutent déjà le retour des Gilets jaunes. La peur n’évite pas le danger, mais la préparation et la conduite des prochaines négociations sur les salaires peuvent contribuer à réduire les risques d’embrasement dans les entreprises.

Le piège de l’illusion monétaire

L’accélération de l’inflation et le niveau atteint brouillent les repères. De nombreux DRH n’ont pas connu la fin des années 70 et le début des années 80 où une telle situation était la norme. La « grammaire sociale » de l’époque est tombée en désuétude, au point qu’accorder des augmentations de salaires nettement au-dessus de celle des années précédentes ou d’envisager une clause de revoyure dans un accord salarial suscitent des réticences. Un effet de l’illusion monétaire mis en évidence par Keynes : nous sommes tentés de considérer davantage l’ampleur des hausses nominales (l’augmentation des salaires) que celles réellement constatées (déduction faite de l’inflation). A l’exception des entreprises fragilisées par la conjoncture, poursuivre par prudence une politique de modération salariale en privilégiant des augmentations individuelles significatives au cas par cas, accentuera inévitablement les tensions.

La tentation des mesures discrétionnaires

Encouragé par le Gouvernement le versement d’une prime exceptionnelle, dite de partage de la valeur, sera sans doute décidé par de nombreuses entreprises avec l’objectif de servir de « bouclier » contre l’inflation. Outre le risque d’entretenir une certaine confusion entre préservation du pouvoir d’achat et partage de la valeur créée, le versement de cette prime peut conduire à une nouvelle mesure salariale unilatérale, satisfaisante à court terme mais laissant en suspens l’évolution du pouvoir d’achat au-delà. Une réponse exceptionnelle et discrétionnaire à une situation conjoncturelle, qui ne peut s’inscrire dans la durée, sauf à contourner l’esprit de la négociation annuelle sur les salaires et à mettre de côté les représentants du personnel.

La sous-estimation de l’unité syndicale

Depuis l’été par deux fois l’ensemble des organisations syndicales a adopté un communiqué commun affirmant une convergence de vue, en particulier sur la question des rémunérations. Ainsi le 12 juillet 2022 : « le salaire doit demeurer la base d’un partage des richesses rééquilibré en faveur des salariés. [..) Une succession de mesures ponctuelles et majoritairement financées par l’Etat ne peut constituer un ensemble suffisant pour répondre à l’urgence. La prise en charge de mesures de pouvoir d’achat est aussi de la responsabilité des employeurs ».

Miser sur les divisions syndicales pour obtenir un compromis avec les organisations plus modérées risque d’aboutir à l’opposition de toutes. Mener jusqu‘au bout une négociation avec l’ensemble des acteurs peut seul permettre de conclure les discussions sans altérer davantage la confiance mutuelle.

Le déséquilibre dans le partage des risques

Au-delà de l’exigence de respect et d’équité, les salariés expriment une forte appréhension des incertitudes qui pèsent sur leur avenir, ce que met évidence P. Rosanvallon dans un ouvrage récent « Les épreuves de la vie ». Pour les salariés, l’Entreprise est supposée agir comme un facteur de réassurance sociale permettant de faire face, avec moins d’inquiétude, aux nombreux aléas de la vie privée.

En privilégiant le discours à l’attention des actionnaires, en mettant en œuvre des politiques de rachats d’actions pour soutenir le cours de bourse tout en affirmant la nécessité d’effort constant pour réduire les coûts face aux aléas conjoncturels, certains grands groupes accentuent le ressentiment du corps social face à un partage perçu comme trop déséquilibré des risques. Le dividende ne doit pas être l’ennemi de la feuille de paie !

Orientations stratégiques et politique sociale

La politique salariale ne peut avoir comme seule boussole l’indice des prix. Plus que jamais, le partage d’information sur la situation de l’entreprise et ses orientations stratégiques sont nécessaires pour aborder avec les représentants du personnel la question du partage de la valeur. Dans de nombreux secteurs même si les marges ont été préservées, les gains de productivité se sont fortement réduits depuis plusieurs années, changeant la nature des marges de manœuvre dont disposent les DRH au moment de la préparation de la négociation salariale. Valoriser et compléter les dispositifs existants (intéressement, participation, épargne salariale) sont alors sans doute plus pertinents que d’ajouter des primes nouvelles.

Moment et modalités de la négociation

Alors que certaines entreprises ont d’ores et déjà annoncé des mesures salariales anticipées, faut-il démarrer au plus tôt les négociations salariales ? En fonction de l’évolution du climat social et des revendications exprimées, l’avancement du calendrier de la négociation pourrait permettre de désamorcer les tensions sans remettre en cause le cadre habituel des discussions en matière de rémunération. Prendre le temps de négocier « à froid » pendant que c’est encore possible plutôt que de devoir traiter « à chaud » des revendications difficiles à satisfaire.

Le  contexte économique actuel peut raviver les tensions latentes entre les partenaires sociaux au risque de cristalliser des antagonismes préjudiciables à la poursuite de la transformation des entreprises et à la transition écologique.  Ce peut être également l’occasion pour chacun des acteurs d’affirmer sa volonté de privilégier la négociation et la recherche de compromis.

Nicolas MADINIER
Dirigeant Fondateur de NMSC Conseil en stratégie sociale et accompagnement de la transformation