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Décembre 2022

Grève à la SNCF : l’annonce d’un social hors de contrôle en 2023 ?

La grève des contrôleurs SNCF à l’initiative d’un nouveau collectif né sur Facebook à l’automne dernier, ravive l’inquiétude de mouvements sociaux hors de tout contrôle : échappant aux syndicats, sourds aux propositions des directions, indifférents aux injonctions de l’Etat et à la détresse des clients.

De telles situations se sont pourtant produites à plusieurs reprises, notamment au sein de la SNCF. Ainsi, la grande grève de 1986 à l’initiative d’agents de conduite rejoints par la suite par d’autres catégories de personnel, a mis en évidence l’émergence de « comités de grève » et de « coordinations » de cheminots bousculant la CGT, syndicat largement majoritaire à l’époque, encore très marqué par une « centralisation » des décisions et une difficulté à saisir les attentes exprimées au plus près du terrain.

Plus récemment la création du collectif « Inter Urgences » au sein de l’Hôpital, ou les arrêts de travail dans le secteur des transports urbains ont de nouveau mis en évidence l’expression d’une « colère » sociale et de revendications en dehors du cadre institutionnel du dialogue social, perçu comme inefficace voire illégitime.

Céder à la tentation du jugement à l’emporte-pièce, renvoyant dos à dos une direction « incapable » et des grévistes « manquants d’empathie » n’aide pas à comprendre les ressorts de ce type de mouvements qui risquent de se développer.

Le souvenir des Gilets jaunes et des scènes de violences qui ont accompagné les nombreux « actes » de ce mouvement social encore très présent dans l’inconscient collectif devrait au contraire nous rappeler que la France reste un pays « irruptif » et nous inciter à rechercher les causes profondes des tensions sociales qui traversent au-delà de la SNCF d’autres grandes entreprises.

Le dialogue social s’est éloigné du quotidien des salariés

La réforme des instances représentatives du personnel, souhaitée par de nombreuses directions d’entreprise a permis de réduire les redondances et la complexité du dialogue social. Mais elle a également éloigné celui-ci du terrain et privé les organisations syndicales de « capteurs » de proximité. Au même moment, la volonté d’alléger les coûts de structures a conduit de nombreuses grandes entreprises à supprimer des postes d’encadrement intermédiaire. En fermant les deux « guichets » (encadrement et représentants du personnel) auxquels pouvaient s’adresser les salariés insatisfaits, les réseaux sociaux ont pris le relais et avec eux la tentation de mouvements « horizontaux » sans leader clairement désigné.

Centralisation des décisions et manque d’autonomie du management 

L’abondance des outils de reporting entretien l’illusion d’une capacité de décision pertinente et efficace au sommet de l’entreprise. Ici plus qu’ailleurs, biais cognitifs et angles morts risquent d’engendrer des projets contestés par le management avant même que les salariés ne les critiquent à leur tour. Contrairement à une idée reçue, ce que le corps social réclame ce n’est pas davantage d’information et d’explication sur la nécessité du changement, mais davantage de marge de manœuvre pour infléchir un projet et le rendre acceptable.

Des projets de changement qui s’accumulent sans réelle appréciation de leur impact global

La généralisation d’organisation en « business unit » s’appuyant sur des fonctions « support » centralisées a conduit à la multiplication de projets conçus souvent en silo, sans réelle appréciation de leur impact global pour les salariés. Prise séparément chacune des évolutions touchant les conditions de travail peut sembler acceptable, mais toutes additionnées elles risquent de conduire à des injonctions contradictoires (faire plus et mieux avec moins tout en préservant la qualité de vie au travail) et à un rejet par les salariés, à la grande surprise des « pilotes » de la transformation. Quand la concertation sociale en amont, avec les représentants du personnel,  devient un exercice de pure forme, il ne reste plus, en aval, que la résistance des salariés concernés pour « se faire entendre ».

L’éclatement syndical et la tentation du repli identitaire

Les divisions et rivalités au sein du syndicalisme français contribuent à accentuer son déclin, laissant les salariés frustrés par une représentation perçue, à tort ou a raison, comme trop « politisée » et éloignée de leurs préoccupations centrées sur leurs conditions de travail et leur trajectoire professionnelle. Faute de pouvoir toujours les canaliser et les exprimer, la tentation est grande pour les syndicats de s’en tenir à la défense des « acquis » sociaux historiques, marqueurs de l’identité commune. Les salariés sont pourtant souvent en attente de changements auxquels ils seraient associés, plutôt que du maintien d’un statu quo organisationnel inadapté. Parvenir à agréger les demandes des différentes « communautés » de travail, un défi majeur pour les organisations syndicales qui doivent aussi surmonter leurs divisions pour retrouver leur pleine capacité de médiation et d’influence.

« La grève est l’échec de la négociation » affirment les syndicats. Reste que de passer d’une habitude de négociation « à chaud » plutôt qu’à « froid » nécessite un pas de côté de chacune des parties prenantes : accepter de concéder du pouvoir et de rechercher un compromis mutuellement acceptable.

Nicolas MADINIER
Dirigeant Fondateur de NMSC Conseil en stratégie sociale et accompagnement de la transformation