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Le discours politique à l’épreuve d’un mouvement social d’ampleur

Dans une économie à flux tendu où la réduction du temps d’attente des clients est devenue une priorité, toutes pertes de temps ou événements imprévus menacent la compétitivité et parfois même la survie d’une entreprise. D’autres organisations plus éloignées de l’esprit du capitalisme sont confrontées à des contraintes analogues : service public de transport ou de santé. Toutes sont soumises à des injonctions de plus en plus contradictoires : contraintes financières et exigences de qualité et de sécurité absolue qui trouvent leur aboutissement dans le principe de précaution.

Dans un tel univers, les mouvements sociaux seraient aux yeux des initiateurs de réformes et des dirigeants, une nouvelle « part maudite », l’expression d’un débordement d’énergie au service d’une mauvaise cause, celle qui ferait perdre de l’argent à l’entreprise ou empêcherait une réforme d’être mise en œuvre. Une « étrangeté » bien française, devenue obsolète à l’heure où les maîtres mots du Gouvernement sont « attractivité » et « compétitivité ».

La grève trouverait son origine au mieux dans une incompréhension des enjeux économiques du moment, au pire dans la manifestation d’un conservatisme viscérale des « insiders » refusant toutes remises en cause de leurs avantages au mépris de l’intérêt général.

Aucun responsable politique ne conteste la constitutionnalité du droit de grève. Mais en lui déniant de plus en plus tous sens ou tout effet utile, le discours politique ambiant n'en réduit pas l’occurrence, il en transforme les modalités, comme l'ont illustré la grève de 2018 à la SNCF et plus récemment l'utilisation massive du droit de retrait.

Contrairement à certaines idées reçues, la confrontation et le dialogue social ne s’opposent pas, ils se complètent et s’articulent. Il est tentant pour un « progressiste » convaincu que la social-démocratie à fait son temps, de considérer que la persistance de mouvements sociaux - voire leur radicalisation - traduit l’échec et l’inefficacité du dialogue social. Le mouvement des gilets jaunes démontrerait ainsi que les syndicats ne servent plus à rien s’étant révélés impuissants à canaliser et à traduire les revendications exprimées tout au long de l’hiver dernier.

De fait, le déclin des syndicats est non seulement bien réel mais il semble à bien des égards s’accentuer. Nous découvrons alors qu’à côté des manifestations brutales du dérèglement climatique, surgissent de nouveaux troubles sociaux difficiles à anticiper et plus encore à réguler.

La grève s’inscrivait dans un rituel, elle participait d’un « moment » de la négociation, dont elle permettait l’aboutissement, encadrée par des syndicats maîtrisant comme leurs interlocuteurs patronaux et politiques la « grammaire » sociale.

Dans le nouveau paysage qui se dessine, la grève devient plus complexe, moins maîtrisable et plus déstabilisante. Elle met en jeu de nouveaux acteurs qui peinent à se comprendre et à trouver une issue au conflit qui les opposent. Entre ceux qui traduisent le « vécu » quotidien de leurs conditions de travail et ceux qui s’efforcent de faire de la pédagogie sur les contraintes budgétaires, le fossé s’est creusé et semble de plus en difficile à combler.

Le déclin des syndicats « historiques » s’accompagne de nouvelles formes de représentation des salariés et de l’émergence de nouveaux acteurs au sein de « coordinations » ou de « collectifs ». Le phénomène n’est pas nouveau, il prend cependant de l’ampleur et d’une certaine manière l’ascendant sur les syndicats établis dans les grandes entreprises et les organisations publiques. Il n’y a pas un déficit d’interlocuteurs mais souvent, au contraire, un trop grand nombre dont la légitimité et la représentativité est plus difficile à évaluer.

Face à cette mutation du syndicalisme, l’erreur des experts en communication consiste à vouloir faire de l’opinion publique le juge de paix au risque d’en faire une caisse de résonance comme cela semble se confirmer avec la réforme des retraites.

Opposer les « privilégiés » à ceux qui auraient moins et s’en contenteraient, c’est prendre le risque que progressivement chacun se perçoive comme le privilégié d’un autre. Peut-on à la fois considérer que la lutte des classes appartient à une rhétorique du passé, et chercher à opposer dans une société « sans classes » les intérêts des uns avec ceux des autres : les usagers des transports avec les cheminots, ceux qui paient des impôts et les bénéficiaires des aides sociales, … ?

Stigmatiser les antagonismes - réels ou produits par le storytelling - n’aidera pas à les réduire. Construire un jeu social à somme nulle, dans lequel ce que gagnent certains s’obtient au détriment des autres, ne favorisera pas l’acceptation du changement. L’enjeu est de passer du problème (partagé et analysé pour le comprendre) au projet (résultant d’une vision argumentée et crédible et issu d’un compromis acceptable).

Il ne peut y avoir de compromis s’il n’y a pas de gain mutuel quelle qu’en soit la nature (reconnaissance des acteurs, réassurance sur l’avenir d’un métier ou d’une organisation, amélioration des conditions de travail, pérennité d’un site …). Les DRH et les Responsables des Relations Sociales savent que dans un conflit social, le plus délicat est de ne pas insulter l’avenir, en préparant une sortie de crise qui permette à chacun des acteurs de reprendre son activité dans un esprit de coopération et sans volonté de revanche.

 

Nicolas MADINIER
Dirigeant fondateur NMSC Conseil en Stratégie Sociale et Accompagnement de la Transformation