Mai 2025
SNCF : réguler les tensions sociales autrement que par la grève ?
Le nouvel épisode de grève à la SNCF ravive le débat autour de la liberté d’actions des organisations syndicales. Faut-il comme certains le réclament, s’appuyant sur des sondages favorables, aller plus loin dans l’encadrement du droit de grève dans le secteur des transports ?
La même scène ce joue à la SNCF à intervalles réguliers : les syndicats estiment « qu’ils n’ont pas d’autre moyens pour se faire entendre », la direction affirme que « tout est sur la table » et le ministre prend la défense des usagers « pris en otages » au moment de départs en congés.
Sortirons nous un jour de ce jeu de rôles qui fragilise une grande entreprise, caricature l’action syndicale et donne le sentiment d’une impuissance du management ?
La SNCF est un concentré d’histoire sociale, syndicale et politique. Malgré ses multiples transformations, elle reste encore une « entreprise » différente. Est-elle pour autant incapable d’adopter un autre mode de régulation sociale ?
L’expérience d’autres conflits dans d’autres entreprises et secteurs d’activités suggère quelques enseignements utiles à la réflexion.
Circonscrire les enjeux
« Politiser » le social, en mêlant aux discussions entre direction et syndicats, le point de vue d’un ministre, quel qu’il soit, n’aide pas à circonscrire le conflit à des enjeux internes à l’entreprise. C’est souvent le meilleur moyen d’encourager chacun des acteurs à élargir le conflit à des revendications qui débordent de l’entreprise et rendent plus difficile l‘issue des négociations.
Avoir raison n’est pas la solution
En appeler au sens des responsabilités des uns et des autres, est souvent un vœu pieux qui risque de cristalliser chacun des deux camps dans l’idée qu’il a davantage « raison » que l’autre. Chacun se persuade alors, à l‘opposé de qui est recherché, qu’il ne doit pas céder pour affirmer la légitimité de son action. En mettant de côté la stratégie sociale au profit de la communication de crise, nombre d’entreprises prolongent un conflit qu’elles souhaiteraient terminer.
Tirer les enseignements des conflits précédents
La sociologie des organisations met en évidence que les acteurs sont souvent plus « rationnels » qu’on ne le pense, que leur « stratégie d’action », aussi discutable soit-elle, mérite d’être comprise avant d’être critiquée ou réfutée par la Direction. Peu d’entreprises cherchent vraiment à tirer les enseignements d’un conflit précédent au risque que les mêmes enchainements ne se reproduisent.
Le changement de nature de la grève
La grève n’est plus réductible uniquement à l’expression d’organisations syndicales adeptes du rapport de force. Les années 70 et 80 sont derrière nous et les parties en présence savent qu’à trop « montrer les muscles » le risque est grand d’un enlisement du conflit. La tentation est cependant toujours présente de répondre à la provocation et de s’engager dans une escalade, encouragé par les plus radicaux des deux camps. Ne pas « diaboliser » ses interlocuteurs, résister aux injonctions contradictoires des dirigeants ou des actionnaires, requièrent un savoir-faire qui se perd dans les entreprises où l’expertise juridique devient prédominante au sein de la fonction RH.
S’interroger sur le fonctionnement du dialogue social
Les conflits sociaux échappent de plus en plus souvent au contrôle des syndicats. Là où ils surviennent, ils traduisent à la fois le sentiment d’inefficacité du dialogue social institutionnalisé, le constat de l’absence de marges de manœuvre du management intermédiaire pour agir sur les conditions de travail, et la nécessité de peser sur les dirigeants pour obtenir satisfaction. Il faut alors s’interroger sur le fonctionnement du dialogue social et sur les moyens dont disposent les acteurs pour réguler les tensions.
Quand la concertation sociale est un exercice formel sans impact sur le cours des projets d’investissement ou d’évolution des organisations, quand la conduite des négociations laisse peu de place à un diagnostic partagé et suscite une implication limitée des acteurs syndicaux, quand l’autonomie de décision au plus près du terrain est réduite, quand les salariés ont le sentiment de ne plus peser, alors le conflit devient inévitable. En interdire l'expression n'y changera rien.