Novembre 2024
L’état du dialogue social : attentes des salariés et perception des représentants du personnel
Comment les salariés perçoivent le dialogue social ? La nouvelle édition du baromètre social DIALOGUES/CEVIPOF[1] confirme une grande partie des constats des enquêtes précédentes :
- A l'échelle de la France, loin des entreprises le dialogue social apparait insatisfaisant et inefficace, en cause l'Etat perçu comme éloigné des préoccupations concrètes des salariés et les organisations syndicales réticentes à bâtir des compromis.
- Dans l'entreprise, à l'inverse le dialogue social est perçu comme fonctionnement mieux, mais surtout dans les petites et moyennes entreprises, tandis qu'une majorité de salariés continue à le déclarer inefficace dans les grandes entreprises.
- Privilégier la négociation dans l'entreprise est largement souhaité (60% des salariés, en progression constante depuis 2019). L'évolution du droit du travail répondrait ainsi sur ce point aux attentes des salariés.
Ce baromètre met également en évidence d’autres constats et souligne des paradoxes :
- Les salariés considèrent largement que pour régler les problèmes dans leur entreprise, la solution la plus efficace consiste à se coordonner avec ses collègues et si cela est nécessaire d'en discuter avec sa hiérarchie (dialogue social professionnel). La confiance dans les syndicats dans l’entreprise (pour 48% des salariés) progresse dans la nouvelle édition du baromètre, mais se syndiquer ou participer aux réunions syndicales apparaissent toujours moins utiles (15% des réponses) pour régler les problèmes.
- Les préoccupations principales des salariés portent sans surprise à nouveau sur les salaires, le pouvoir d'achat et les conditions de travail. La formation professionnelle, les discriminations, le partage des richesses, les enjeux climatiques sont cités loin derrière ... alors même que ce sont des thématiques qui occupent une place importante dans l'agenda du dialogue social institutionnel (entre les représentants du personnel et les directions d'entreprises)
- Les salariés participent encore largement aux élections dans leur entreprise et déclarent déterminer leur choix en privilégiant les candidats qu'ils connaissent personnellement, davantage que l'étiquette syndicale. Ce que les salariés attendent de leurs représentants c'est d'abord qu'ils relaient leurs préoccupations (38% des réponses) et peu qu'ils les informent sur les enjeux de l'entreprise (11%).
Bref, ce que semble illustrer cette nouvelle édition du baromètre social c’est qu’en renforçant simultanément la place de l’entreprise dans la négociation sociale et en éloignant les représentants du personnel du terrain, en particulier dans les grandes entreprises, l’évolution du droit du travail fragilise « l’écosystème » nécessaire à la négociation :
- La perte par les syndicats de relais de proximité et la tendance à la centralisation du dialogue social institutionnel sur des thématiques transversales qui s’enrichissent au fil du temps (stratégie d’entreprise, formation, égalité professionnelle, transition écologique …) entretiennent l’idée d’une déconnexion entre les préoccupations concrètes des salariés et l’agenda social des instances auxquelles ils participent.
- Tout se passe comme si les salariés avaient entériné qu’ils devaient se « débrouiller » entre eux et avec leur hiérarchie pour régler les problèmes du quotidien, sans nécessairement y parvenir puisque la question des conditions de travail reste un enjeu prioritaire du dialogue social mis en évidence par les salariés.
- Les attentes des salariés vis-à-vis des syndicats demeurent, leur légitimité et leur rôle est moins contesté que les années précédentes, mais ils semblent être insuffisamment là où les salariés pourraient les rencontrer et s’intéresser à des enjeux perçus comme moins prioritaires.
La poursuite du renouvellement des pratiques syndicales est sans doute une partie de la réponse. Mais, c’est également aux directions d’entreprises de prendre la mesure des attentes des salariés vis-à-vis de leurs représentants et des risques d’un dialogue social institutionnel trop centralisé, éloigné du terrain et des préoccupations des salariés.
[1] https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Enque%CC%82te%20DialogueSocial_2024%20(v2).pdf